L'histoire de La bib'

Il était une fois une bibliothécaire devenue designer

Bibliothécaire pendant plusieurs années, je suis devenue designer d’interfaces peu après avoir piloté la refonte du portail de la bibliothèque où j’exerçais.

Mon parcours m’a donné un amour particulier pour ce qui amène de la beauté dans nos vies : le monde des livres, des arts et de la culture. Je pratique un design sensé : utile et durable, et sensible : conducteur d’émotions.

Qui décida de s’embarquer dans un projet passion

Depuis un peu plus de deux ans, j’accompagne des travailleureuses indépendantes et des organisations dans leur communication visuelle, en particulier au travers d’interfaces numériques. Si vous avez déjà fréquenté des designers, vous savez peut-être que beaucoup d’entre nous travaillons sur nos propres projets passion entre deux projets facturés. Car oui, même les clientes et clients super chouettes ne nous donnent pas toujours l’occasion de travailler exactement dans le secteur qui nous met des étoiles dans la tête.

Comme je voulais plus d’étoiles dans la tête, j’ai décidé de me pencher à nouveau sur la conception d’un portail de bibliothèque, en donnant libre cours à ma créativité. Mais je n’ai pas voulu simplement créer un portail “qui me plaît”. J’ai voulu réfléchir à la place de la bibliothèque dans nos vies, aux personnes qui fréquentent la bibliothèque et son portail virtuel, et aux bibliothécaires qui la font vivre au quotidien.

Car elle trouvait que les portails de bibliothèques pourraient être mieux

J’ai utilisé régulièrement quelques portails de bibliothèques – universitaires, municipales, spécialisées – en tant qu’usagère et en tant que bibliothécaire. J’y ai rarement retrouvé la joie que je trouvais en me rendant sur place. C’est en partie heureux : continuons d’aller à la bibliothèque, d’y passer du temps et d’y découvrir des personnes et des choses.

Mais en me connectant au portail de ma bibliothèque, j’aimerais retrouver une partie de cette joie, de cet apaisement mêlé d’excitation, d’envie d’explorer et de dévorer imaginaires et connaissances. Alors qu’est-ce qui manque dans les portails de nos bibliothèques ?

Les portails sont souvent conçus par des éditeurs de logiciels de gestion de bibliothèque

Les logiciels de gestion de bibliothèque (SIGB) sont des logiciels professionnels, utilisés uniquement par les bibliothécaires pour gérer les collections : préparer et réceptionner les achats, cataloguer et indexer les documents, surveiller les budgets et piloter la politique d’acquisition. Ils ne sont pas accessibles au public, même si c’est bien leur contenu qui alimente le portail.

Les entreprises qui commercialisent des logiciels SIGB proposent très souvent la création du portail pour les bibliothèques clientes. Or, entre un logiciel métier et un portail web, les enjeux d’expérience utilisateur et de design d’interface varient considérablement. Il ne s’agit pas de dire qu’on ne peut pas faire de bons logiciels métiers ET de bons services web. Mais pour bien le faire, il faut laisser toute sa place au design en tant que pratique orientée sur les besoins réels des utilisateurices.

Parmi les portails observés, nombreux sont touffus, avec une navigation malaisée. De nombreuses fonctionnalités restent inutilisées, et certaines pages ne sont jamais consultées.

Les portails se ressemblent tous

L’utilisation de modèles préconçus permet d’aller plus vite et d’économiser sur les coûts de conception. Mais on prend alors le risque de ne pas répondre aux besoins réels de nos utilisateurices, qui sont différents de ceux de la bibliothèque d’à côté. Avec une proposition visuelle trop générique, la bibliothèque n’est pas incarnée dans son interface, et ses utilisateurs ne la reconnaissent pas comme leur bibliothèque, celle qu’ils prennent plaisir à fréquenter.

Au-delà de l’aspect visuel, ce qu’on appelle la microcopie est généralement peu travaillé. La microcopie, c’est le texte des boutons, messages d’erreur, etc. Tous ces petits éléments qui, pris ensemble, peuvent rendre l’expérience de navigation facile ou confuse.

Lorsqu’un ou une utilisateurice fait une erreur, ou qu’ielle rencontre une erreur du système, la microcopie prend une importance cruciale. Bien conçue, elle limitera la frustration inévitable et permettra de corriger l’erreur ou de la rendre acceptable.

J’en ai souvent fait l’expérience en utilisant des portails de bibliothèque. Des erreurs survenues pendant la connexion, la recherche ou la réservation d’un document, un emprunt numérique… mal comprises car mal expliquées, elles génèrent même chez une personne avertie une frustration importante.

En investissant dans une conception sur-mesure, ciblée sur les besoins réels, on obtiendra un service plus durable et des bénéfices à long terme. En amplifiant en ligne l’attachement du public à sa bibliothèque, les bibliothécaires seront plus investis et les usagers plus satisfaits.

L’accessibilité est négligée

En France, on estime qu’environ 1 personne sur 5 est en situation de handicap.

Lorsque j’ai piloté la refonte du portail de la bibliothèque où j’exerçais, la conception d’interface n’était pas du tout mon métier. Je faisais alors office de liaison entre notre prestataire et l’équipe de la bibliothèque, pour définir et transmettre nos objectifs et notre cahier des charges, et suivre la conception.

J’avais indiqué au prestataire que l’accessibilité était une exigence, mais je n’avais pas les compétences pour évaluer leur travail en la matière. Vous imaginez ma frustration quand j’ai compris plus tard que le widget “Accessibilité” ajouté en fin de projet était tout sauf la bonne approche. Mais cette frustration n’est rien comparée à celle des personnes qui se retrouvent dans l’incapacité d’accéder à un service parce qu’on a négligé leurs besoins.

Malheureusement, et malgré l’amélioration des connaissances à ce sujet, ce n’était pas un cas isolé. L’accessibilité d’un site web passe par son design et son code. Elle doit être intégrée au cœur de la conception, et pas en surcouche en fin de projet, au risque de rendre son site inutilisable pour toute une partie de la population.

Les bibliothécaires en perçoivent l’utilisation comme une corvée

J’ai rarement rencontré des bibliothécaires qui appréciaient la mise à jour des contenus sur le portail de leur établissement :

• rédaction d’articles
• sélections thématiques
• annonces d’évènements
• modifications des infos pratiques

Toutes ces tâches deviennent une corvée à cause d’interfaces d’administration peu ergonomiques et d’arborescences trop complexes. Cela se ressent dans l’actualisation parfois lacunaire des portails, et dans la perception qu’en ont les visiteureuses : “les informations sont-elles bien à jour ? Est-ce que mon message a été pris en compte ? Cet article semble rédigé à la va-vite…”

Elle décida donc de créer La bib’

Je suis persuadée qu’en utilisant une approche centrée sur l’utilisateur (le public de la bibliothèque, mais aussi les bibliothécaires), on peut améliorer le service rendu et créer des interfaces web à la hauteur des bibliothèques qu’elles incarnent.

J’ai adopté cette démarche pour réfléchir au portail idéal de la bibliothèque de mes rêves. J’ai centré la conception autour des trois usages centraux d’un portail de bibliothèque, en simplifiant au maximum la navigation pour la majorité des utilisateurices :

• les informations pratiques → ce sont les premières informations recherchées par les utilisateurices
• l’interaction avec le catalogue → recherche, réservation, gestion des prêts en cours
• la médiation culturelle → sélections, recommandations, programmation évènementielle…

J’ai réfléchi au public d’une bibliothèque, et construit des personas pour me mettre à sa place. Les personas servent à représenter les profils des personnes amenées à utiliser le portail de La Bib’. On dresse d’abord une typologie du public cible, puis on leur donne des petits noms, une histoire, et surtout des besoins. Pourquoi Maria — 35 ans, employée de mairie, mère célibataire de deux enfants — va-t-elle utiliser le portail de La Bib’ ? Quel(s) objectif(s) cherche-t-elle à remplir ? Dans quel(s) contexte va-t-elle l’utiliser ? Quels obstacles peut-elle rencontrer ?

J’ai aussi réfléchi au parcours optimal pour accomplir chaque tâche :

• faire une recherche
• réserver un document
• voir les évènements
• emprunter un livre numérique…

Et enfin, j’ai réfléchi à comment donner une âme à cette interface, pour qu’elle reflète la joie d’aller à la bibliothèque : c’est tout le travail visuel, la rédaction des textes et de la microcopie.

Mais ce n’était qu’un simple prototype…

Eh oui, La bib’ reste une bibliothèque imaginaire. Pas de collection physique, d’équipe de bibliothécaires, de programmation évènementielle. Et personne pour s’inscrire et emprunter des livres !

Si vous avez navigué un peu, vous avez peut-être remarqué que :

• vous vous connectez seulement avec votre prénom, jusqu’à fermeture de votre navigateur
• vous voyez des “prêts en cours” de livres que vous n’avez pas entre les mains
• vous voyez des réservations que vous ne pourrez récupérer nulle part…
• vous voyez des évènements qui ne sont que le fruit de mon imagination (et un peu de mon expérience)
• il y a très peu de documents
• il n’y a que des livres !

J’ai en effet simplifié l’interface pour qu’on puisse y naviguer tout en comprenant rapidement qu’il s’agit d’un prototype. Toutes ces choses seraient différentes si vous consultiez le vrai portail d’une vraie bibliothèque. On pourrait trouver par exemple :

• une foire aux questions ou un centre d’aide
• une présentation des espaces de la bibliothèque et de l’équipe
• l’enregistrement de recherches, ou la soumission de suggestions d’achat
• l’abonnement à des newsletters thématiques
• le regroupement de tous les comptes d’une même famille
• et tout ce qui pourrait être utile au vrai public d’une vraie bibliothèque dans une commune petite ou grande…